La Table a fait parvenir une lettre au Président de la commission de la santé et des services sociaux, M. Luc Provençal, afin de lui demander de reconsidérer les articles portant sur l’agrément des organismes communautaires, contenus dans le projet de loi no 15.

Cette lettre fut aussi transmise au ministre de la Santé Christian Dubé, au ministre responsable des services sociaux Lionel Carmant, aux représentants des partis de l’opposition en matière de santé et de services sociaux ainsi qu’à Stéphanie Pinault-Reid, Secrétaire de la Commission de la santé et des services sociaux, dans l’objectif d’obtenir des changements quant aux articles de loi qui menacent l’autonomie des organismes communautaires autonomes du domaine de la santé et des services sociaux.

Montréal, le 8 novembre 2023

Monsieur Luc Provençal,
Président de la Commission de la santé et des services sociaux
Édifice Pamphile-Le May
1035, rue des Parlementaires, 3e étage
Québec (Québec) G1A 1A3
csss@assnat.qc.ca
Luc.Provencal.BENO@assnat.qc.ca 

 

Objet : Demande de reconsidération des articles sur l’agrément, adoptés le 4 octobre 2023, afin de tenir compte d’informations manquantes lors de l’analyse du projet de loi no 15 Loi visant à rendre le système  de santé et de services sociaux plus efficace

Monsieur le Président de la Commission de la santé et des services sociaux,

Nous avons pris connaissance des échanges ayant eu lieu le 4 octobre dernier, dans le cadre de l’analyse détaillée du projet de loi no 15, plus spécifiquement en regard des articles 435 à 450. Ainsi que nous  l’avons souligné dans notre mémoire présenté le 23 mai, ces articles interpellent particulièrement les 3000 organismes communautaires autonomes du domaine de la santé et des services sociaux (OCASSS) que nous rejoignons.

Rappelons qu’en tant qu’interlocutrice nationale du MSSS, la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (Table) possède une expertise importante, en regard du fonctionnement du Programme de soutien aux organismes communautaires, le PSOC. De plus, son expertise ne se limite pas au financement des OCASSS, mais porte sur tout ce qui a un impact sur la réalisation de leurs missions, que ce soit lié à une décision du MSSS ou de toute autre instance du gouvernement du Québec ou de l’Assemblée nationale.

Or, ayant constaté que les décisions des parlementaires ont été guidées par des informations incomplètes, nous transmettons par cette lettre des éléments qui auraient dû être considérés dans l’analyse des articles 435 à 450. Nous estimons que ces éléments sont assez importants pour justifier une reconsidération des décisions prises à l’égard de ces articles.

1. Situons d’abord les trois séries d’articles du PL15 qui doivent être analysées pour leurs effets combinés

Les articles 431 à 434 précisent quels organismes communautaires peuvent recevoir une « subvention » dans le cadre du programme (le PSOC, même s’il n’est pas nommé). Ces articles reprennent plusieurs éléments des articles 334 à 338 de la LSSSS actuelle et sont spécifiques aux organismes communautaires. C’est dans les deux autres séries d’articles que le problème se trouve, soit les articles qui ne portent pas sur le financement par subvention, mais sur les allocations financières accordées par ententes de services (voir explication plus loin) et qui établissent l’obligation de détenir un agrément pour recevoir un financement de ce type.

Les articles 435 à 444 stipulent qu’un « agrément aux fins de financement » est nécessaire pour recevoir une « allocation financière » dans le cadre d’une entente de services, reprenant certains éléments des articles 108, 108,3 et 457 de la LSSSS actuelle, liant ainsi clairement le processus d’agrément aux ententes de services, dont celles conclues avec des organismes communautaires.

EXTRAIT DU PL15

« CHAPITRE III AGRÉMENTS AUX FINS DE FINANCEMENT »

« 435. Santé Québec peut accorder une allocation financière à un organisme communautaire afin de lui permettre d’obtenir auprès d’un établissement, par entente conclue en application des dispositions de  l’article 446, tout ou partie des services de santé ou des services sociaux requis par la clientèle de l’organisme ou d’offrir certains de ces services. »
« 436. Seule la personne Seul l’organisme communautaire titulaire d’un agrément délivré en vertu du présent chapitre peut recevoir une allocation financière visée à l’article 435. » (amendé le 4 octobre 2023)

Quant aux articles 445 à 450 ils mentionnent que des ententes de services peuvent être conclues par le MSSS. Ils reprennent plusieurs éléments de l’article108 et 108,3 de la LSSSS actuelle, notamment la nature de ces ententes lorsqu’elles s’adressent à des organismes communautaires. Ainsi, l’article 446 réfère à l’article 108.3 de la LSSSS actuelle et l’article 450 reprend le 5e alinéa du 2e paragraphe de l’article 108 de la LSSSS actuelle en rappelant qu’une entente de services conclue avec un organisme communautaire « doit respecter les orientations, les politiques et les approches que se donne l’organisme communautaire ».

EXTRAIT DU PL15

« TITRE II – ENTENTES VISANT CERTAINS SERVICES
CHAPITRE I ENTENTES VISANT LA FOURNITURE, LA PRESTATION OU L’ÉCHANGE DE CERTAINS SERVICES »

« 445. Santé Québec peut conclure avec une personne ou un groupement une entente à l’une ou l’autre des fins suivantes :
1° la fourniture, pour le compte d’un établissement de Santé Québec, de certains services de santé ou services sociaux requis par un usager de cet établissement;
2° la prestation ou l’échange de services professionnels en matière de services de santé ou de services sociaux. Elle peut également conclure avec un établissement privé une entente concernant l’acquisition ainsi que la préparation et la distribution automatisées de médicaments. »
« 446. Santé Québec peut conclure avec un organisme communautaire qui a reçu une allocation financière en application de l’article 435 une entente en vue d’assurer la prestation de tout ou partie des services de santé ou des services sociaux requis par la clientèle de l’organisme. » (Notre soulignement)
« 450. Lorsque la personne ou le groupement avec lequel Santé Québec a conclu une entente visée à l’article 445 est un organisme communautaire, l’entente doit respecter les orientations, les politiques et les approches que se donne l’organisme communautaire. » (notre soulignement)
Mentionnons qu’une entente de services (108) couvre le montant versé pour un service donné. L’état achète un service, notamment auprès d’OCASSS, mais une protection particulière est prévue pour eux
depuis longtemps dans la LSSSS par l’article 108, afin de protéger leur autonomie quant à leurs orientations, politiques et approches.

Rappel de l’article 108 de la LSSSS actuelle
108. « Un établissement peut conclure avec un autre établissement, un organisme ou toute autre personne, une entente pour l’une ou l’autre des fins suivantes:
1° la dispensation, pour le compte de cet établissement, de certains services de santé ou services sociaux requis par un usager de cet établissement;
2° la prestation ou l’échange de services professionnels en matière de services de santé ou de services sociaux. »

(…)

« Dans le cas d’une entente conclue entre un établissement et un organisme communautaire visé au titre II de la présente partie, celle-ci doit respecter les orientations, les politiques et les approches que se donne l’organisme communautaire. » (notre soulignement)

Rappelons qu’un agrément visant à encadrer comment l’état veut que soit dispensé un service qu’il donne à contrat, il est facile d’imaginer que si un agrément est exigé d’un OCASSS cela couvrira la manière, les pratiques, le type de personnel réalisant le service, la grandeur de l’espace où il se dispense, etc. L’état veut un service comme si c’était lui qui le prodiguait.

Soulignons que l’OCASSS est autant autonome lorsqu’il dispense des activités financées par une subvention à la mission globale que pour celles financées par une entente de services ou un autre financement.  Par exemple, un OCASSS qui soutient des personnes DI-TED n’est pas moins autonome le jour où les personnes référées par le CIUSSS franchissent sa porte que le lendemain où ce sont des personnes qui  arrivent par une autre voie.

2. La Commission a procédé à l’adoption d’articles sur la base d’informations incomplètes

Par la présentation de son mémoire, la Table a souligné que l’intégration de la mention « organisme communautaire » dans certains articles sur l’agrément (435, 441 et 443) équivalait à exiger que ceux-ci soient agréés pour obtenir une entente de service. La Table a exposé que cela brimerait l’autonomie de ces organismes, ce que l’article 108 (maintenant 450) visait spécifiquement à empêcher. Elle a donc demandé que les mentions « organisme communautaire » soient retirées des articles relatifs à l’agrément.

Rappel de la recommandation 24 du mémoire de la Table Le projet de loi no 15, Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace, n’est pas la réponse qu’il faut aux besoins de la
population, 23 mai 2023

Parce que l’autonomie des groupes communautaires est incompatible avec la notion d’agrément appliquée à large échelle, nous recommandons :
24. Que l’État retire les groupes communautaires de l’application de l’agrément aux fins de financement.

Or, le 4 octobre, le gouvernement a fait exactement le contraire en proposant d’ajouter les mentions « organisme communautaire » aux articles qui ne les contenaient pas jusqu’alors. Il a ainsi fait adopter des amendements aux articles 436, 437 et 438 pour que dans chacun la mention « personne » soit remplacée par « organisme communautaire » (voir ci-haut l’exemple de l’article 436 amendé).

Qui plus est, le 4 octobre, l’adoption de ces articles s’est faite à partir d’une information erronée fournie aux membres de la Commission santé et des services sociaux. Le ministre Dubé et son équipe ont affirmé que les articles 435 à 444 ne s’appliquaient qu’aux 36 maisons de soins palliatifs puisque la Loi sur les soins de fin de vie exigeait que ces maisons soient agréées pour être financées par ententes de services.

LOI CONCERNANT LES SOINS DE FIN DE VIE, chapitre S-32.0001

3. Aux fins de l’application de la présente loi, on entend par: (…)

2° «maison de soins palliatifs» un organisme communautaire titulaire d’un agrément délivré par le ministre en vertu du deuxième alinéa de l’article 457 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux et ayant conclu une entente en vertu de l’article 108.3 de cette loi avec un établissement en vue d’obtenir tout ou partie des soins requis par les personnes qui utilisent ses services; »

En réponse à une question de l’opposition, Me Mathieu Paquin a même affirmé ceci : « Est-ce que 435 pourrait servir à autre chose que des maisons de soins palliatifs? Quand on lit 435, on pourrait penser que oui. Toutefois, la réponse concrète, c’est non. Parce que de la façon qu’on a défini les maisons de soins palliatifs dans la Loi sur les soins de fin de vie, si je me servais de 435 pour autre chose, ça deviendrait une maison de soins palliatifs. » 4 octobre vers 15 h55 (notre soulignement).

Ce faisant, les articles 435 à 444 ainsi que les articles 445 à 450 ont été présentés, à tort, comme ne s’appliquant qu’aux maisons de soins palliatifs. Or, cette affirmation a induit un biais dans l’adoption de ces articles, biais qu’il importe de corriger, puisque :

  •  Des ententes de services ne sont pas uniquement conclues avec les 36 maisons de fin de vie.
  • L’agrément serait requis pour toute entente de services puisque les articles 435 à 450 du PL15 stipulent donc qu’il faut un agrément pour obtenir une « allocation » par une entente de service.
  • La protection prévue par l’article 450 (article 108 selon la LSSSS actuelle) serait sans effet si l’agrément est une condition à l’obtention d’une allocation pour une entente de services.

De plus, lors des travaux du 31 octobre de la Commission sur la santé et les services sociaux, a amendé le PL15 par le retrait de l’article 1166 soit : « 1166. L’article 1165 s’applique, avec les adaptations nécessaires, à l’organisme communautaire visé à l’article 531. » Cet amendement a pour effet de retirer l’obligation pour les organismes qui offre des services d’interruption volontaire de grossesse de détenir un agrément pour tenir compte de l’incompatibilité du processus d’agrément avec les pratiques de ces organismes communautaires. Or, cette incompatibilité est tout aussi grande en regard de l’agrément pour les organismes communautaires en général.

Si la Commission ne revient pas sur l’adoption des articles 435 à 450, une situation incongrue se produira : un organisme communautaire offrant du soutien à des personnes, pour quelque besoin que ce soit de santé physique ou mentale, devrait être agréé pour recevoir quelques milliers de dollars par une entente de services, alors qu’un organisme communautaire offrant des services d’interruption volontaire de grossesse n’aurait pas à détenir un agrément. L’exclusion obtenue pour les organismes communautaires offrant des services d’interruption volontaire de grossesse doit donc s’appliquer à tous les organismes communautaires.

4. La Commission doit reprendre l’analyse des articles 435 à 450 pour tenir compte de toutes les informations

En votre qualité de président de la Commission vous jouez un grand rôle dans l’organisation de ses travaux. Estimant que les membres de la Commission n’ont pas disposé de toutes les informations utiles à
leur tâche, nous vous demandons de reprendre la discussion autour des articles 435 à 450.

L’appréciation généralisée des membres de l’Assemblée nationale envers le travail des OCASSS est selon nous de nature à faciliter l’obtention du consentement des membres de la Commission à l’égard de la reprise de la discussion. Les informations fournies par ce document mène à exclure les OCASSS du processus d’agrément, à l’instar de ce qui fut décidé pour les organismes communautaires offrant des services d’interruption volontaire de grossesse.

Nous sommes disponibles pour répondre à toute question en lien avec cette correspondance.
En vous remerciant pour l’attention que vous porterez à notre demande, veuillez agréer, Monsieur le Président de la Commission de la santé et des services sociaux, l’expression de nos salutations distinguées.

Stéphanie Vallée,
Présidente de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles

Mercédez Roberge,
Coordonnatrice de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles

C.C.
Monsieur Christian Dubé, ministre de la Santé, ministre@msss.gouv.qc.ca
Monsieur Lionel Carmant, ministre responsable des services sociaux, ministre.responsable@msss.gouv.qc.ca
Monsieur Joël Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine, pour le Parti Québécois Joel.Arseneau.IDLM@assnat.qc.ca
Monsieur André Fortin, député de Pontiac, pour le Parti libéral du Québec, Andre.Fortin.PONT@assnat.qc.ca
Monsieur Guillaume Cliche-Rivard, député de Saint-Henri–Sainte-Anne, pour Québec Solidaire, Guillaume.Cliche-Rivard.SHSA@assnat.qc.ca
Madame Stéphanie Pinault-Reid, Secrétaire de la Commission de la santé et des services sociaux, csss@assnat.qc.ca
Les membres de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles

Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles
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1, rue Sherbrooke Est, Montréal, QC, H2X 3V8, 514-844-1309 coordination@trpocb.org // www.trpocb.org

 

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