Le 20 février 2025, la Table a fait paraitre une lettre ouverte dans le journal Le Devoir pour riposter à la 7e tentative du Commissaire au lobbyisme du Québec d’assimiler tous les OSBL à des lobbies.

Le 13 février, Le Devoir rapportait les propos du commissaire au lobbyisme du Québec réaffirmant son intention d’appliquer la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme à des milliers d’organismes sans but lucratif (OSBL). Il persiste, malgré l’échec de toutes les démarches précédentes, mais surtout malgré l’existence d’un règlement limitant l’assujettissement des OSBL à ceux composés majoritairement d’organismes à but lucratif.

Cet élargissement nuirait gravement au droit d’association, car cela assimilerait à des lobbyistes des personnes qui sont membres ou qui occupent des postes au sein des quelque 60 000 OSBL du Québec. Une telle avalanche de nouvelles inscriptions améliorerait évidemment l’image des lobbyistes, sans aucune correction à leurs pratiques, alors que cela détruirait la bonne réputation des OSBL, qui n’ont pourtant rien fait de répréhensible. Ce résultat ne serait pas un hasard, car il s’agit d’une demande récurrente des lobbyistes du secteur privé à but lucratif, qui se plaignent d’être les seuls à être assujettis à la Loi. Le commissaire et ses prédécesseurs ont suivi la même idée fixe : considérer les OSBL, en totalité ou presque, comme des lobbyistes. Si vous pensez avoir raté la nouvelle d’un gros scandale, rassurez-vous, aucune crise parmi les OSBL n’a justifié un tel élargissement depuis l’adoption de la Loi il y a près de 23 ans.

Le commissaire fait preuve d’opportunisme en appuyant son argumentaire sur le dossier du Devoir concernant les mauvaises pratiques de la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais, qui révèle aussi le manque de rigueur du ministère de l’Éducation dans l’attribution de fonds à l’organisme, en 2018. Or, ce dossier ne démontre pas que l’ensemble des OSBL a de mauvaises pratiques ni que la Loi doit les inclure.

Le commissaire affirme qu’il ne souhaite pas « assujettir les organismes communautaires qui offrent des services de soutien directs à la population » à la Loi. Il semble croire que cela réduira de beaucoup les OSBL visés, ainsi que notre opposition. Ce ne sera pas le cas.

D’une part, on compte environ 8000 organismes communautaires, dont 4500 groupes font partie du mouvement de l’action communautaire autonome. Ces derniers s’investissent dans des actions collectives pour améliorer la société et rares sont ceux qui ne font que rendre des « services de soutien directs », qu’on pense aux groupes et aux regroupements qui sensibilisent la population à des enjeux de société ou pour mettre fin à des discriminations. Comme ce sont surtout eux qui interpellent les personnes élues et les fonctionnaires, ils seront évidemment visés par le commissaire.

D’autre part, l’atteinte au droit d’association ne sera pas moins grande si certains groupes sont exemptés, mais que les regroupements, coalitions et tables de concertation qu’ils se donnent pour agir collectivement ne le sont pas. Cette architecture qui fait la spécificité du Québec s’effritera de l’intérieur. Les groupes exemptés ne le seront plus en participant aux actions d’un regroupement, en signant des lettres ou en prenant part à des rencontres politiques. Les conseils d’administration et les équipes d’un très grand nombre d’organisations locales, régionales et nationales se videront de leurs forces vives par le détournement de leur rôle social.

Dans le contexte associatif, le terme « représentation » prend tout son sens, puisque les démarches ne visent qu’à relayer l’avis des personnes qui fréquentent les OSBL et œuvrent en leur sein. En comparaison, un dirigeant de compagnie ne parlera qu’en son nom et à son seul bénéfice financier ou à celui de ses actionnaires.

La Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles est au cœur de cette lutte depuis 2008, réagissant tant lors du dépôt de rapports ou de propositions qu’en amont. Elle assume également le leadership de la coalition Mon OSBL n’est pas un lobby, coalition qui a cocréé la déclaration Lobby : Halte aux dérapages visant à contrôler la recherche de profit et à garantir le droit d’association.

La plus récente action réalisée par la Table illustre bien pourquoi les OSBL ne doivent pas être assujettis à la Loi. Le 12 février, une délégation de 10 personnes, représentant des groupes locaux et des regroupements provinciaux, s’est rendue à l’Assemblée nationale pour présenter des revendications améliorant le programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC). Des rencontres ont eu lieu auprès de 18 députés des quatre partis y siégeant, dont le ministre Lionel Carmant et des attachées politiques.

Cette action a été annoncée plusieurs mois à l’avance par la Table sur son site Internet, par de nombreuses mentions et des webinaires sur les médias sociaux, des infolettres transmises à plus de 3000 groupes, une vidéo et des courriels transmis au ministre par des centaines de groupes. Qui plus est, les résultats des rencontres seront largement diffusés. Cet exemple, courant dans notre milieu, démontre que ni les groupes ni leurs regroupements n’ont besoin d’une loi pour agir dans la transparence, celle-ci étant même nécessaire à l’avancement des causes sociales qu’ils portent. Mais il permet aussi d’illustrer que ce relais des besoins de la population est essentiel au travail des personnes élues et qu’assujettir les OSBL à la Loi y mettrait fin, car les groupes seraient désertés par les personnes directement concernées.

Il est complètement aberrant de devoir réagir une septième fois sur ce dossier, alors que les groupes que nous soutenons ont tant à faire pour réaliser les missions demandées par leurs communautés. Il est aussi curieux de voir le commissaire revenir à la charge alors que tous les partis politiques, y compris le gouvernement, se sont engagés à maintenir le statu quo durant la campagne électorale de 2022, soit de limiter l’assujettissement des OSBL à ceux composés majoritairement d’organismes à but lucratif.

En somme, le commissaire tente d’inscrire des dizaines de milliers de mandats issus d’OSBL au Registre du lobbyisme comme solution à un problème qui n’existe pas.

 

Pour en savoir plus sur l’initiative du Commissaire au lobbyisme à laquelle la Table réplique, consulter le communiqué qu’il a émis le 13 février 2025